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ÉPILOGUE DES AMOURS DE RODOLPHE ET DE MIMI.

m’aimait bien, n’est-ce pas, petit bouquet, son cœur te l’a dit le jour où tes fleurs étaient à sa ceinture ? Pauvre petit bouquet, tu as l’air de me demander grâce ; eh bien, oui, mais à une condition, c’est que tu ne me parleras plus d’elle, jamais ! jamais !

Et, profitant d’un moment où il croyait n’être pas aperçu par Rodolphe, il glissa le bouquet dans sa poitrine.

— Tant pis, c’est plus fort que moi. Je triche, pensa le peintre.

Et comme il jetait un regard furtif sur Rodolphe, il vit le poëte qui, arrivé à la fin de son auto-da-fé, mettait sournoisement dans sa poche, après l’avoir baisé avec tendresse, un petit bonnet de nuit qui avait appartenu à Mimi.

— Allons, murmura Marcel, il est aussi lâche que moi.

Au moment même où Rodolphe allait rentrer dans sa chambre pour se coucher, on frappa deux petits coups à la porte de Marcel.

— Qui diable peut venir à cette heure ? dit le peintre en allant ouvrir.

Un cri d’étonnement lui échappa quand il eut ouvert sa porte.

C’était Mimi.

Comme la chambre était très-obscure, Rodolphe ne reconnut pas d’abord sa maîtresse ; et, distinguant seulement une femme, il pensa que c’était une des conquêtes de passage de son ami, et par discrétion il se disposa à se retirer.

— Je vous dérange, dit Mimi, qui était restée sur le seuil de la porte.

— À cette voix, Rodolphe tomba sur sa chaise comme foudroyé.

— Bonsoir, lui dit Mimi en s’approchant de lui et en lui serrant la main, qu’il se laissa prendre machinalement.

— Qui diable vous amène ici, demanda Marcel, et à cette heure ?

— J’ai bien froid, reprit Mimi en frissonnant ; j’ai vu de la lumière chez vous en passant dans la rue, et, quoiqu’il soit bien tard, je suis montée.

Et elle tremblait toujours ; sa voix avait des sonorités cristallines qui entraient dans le cœur de Rodolphe comme