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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.


La dentelle de Flandre et le point d’Angleterre,
La guipure gothique à la mate blancheur,
Chef-d’œuvre arachnéen d’un âge séculaire,
De ta riche toilette achève la splendeur.

Pour moi, je t’aimais mieux dans tes robes de toile
Printanière, indienne ou modeste organdi,
Atours frais et coquets, simple chapeau sans voile,
Brodequins gris ou noirs, et col blanc tout uni.

Car ce luxe nouveau qui te rend si jolie
Ne me rappelle pas mes amours disparus,
Et tu n’es que plus morte et mieux ensevelie
Dans ce linceul de soie où ton cœur ne bat plus.

Lorsque je composai ce morceau funéraire
Qui n’est qu’un long regret de mon bonheur passé,
J’étais vêtu de noir comme un parfait notaire,
Moins les besicles d’or et le jabot plissé.

Un crêpe enveloppait le manche de ma plume,
Et des filets de deuil encadraient le papier
Sur lequel j’écrivais ces strophes, où j’exhume
Le dernier souvenir de mon amour dernier.

Arrivé cependant à la fin d’un poëme
Où je jette mon cœur dans le fond d’un grand trou,
— Gaîté de croque-mort qui s’enterre lui-même,
Voilà que je me mets à rire comme un fou.

Mais cette gaîté-là n’est qu’une raillerie :
Ma plume en écrivant a tremblé dans ma main,
Et quand je souriais, comme une chaude pluie,
Mes larmes effaçaient les mots sur le vélin.

II

C’était le 24 décembre, et ce soir-là le quartier Latin avait une physionomie particulière. Dès quatre heures du soir, les bureaux du Mont-de-Piété, les boutiques des fripiers et celles des bouquinistes avaient été encombrées par