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ÉPILOGUE DES AMOURS DE RODOLPHE ET DE MIMI.


Aimez-vous, aimez-vous : dans le vent qui murmure,
Dans les limpides eaux, dans les bois reverdis,
Dans l’astre, dans la fleur, dans la chanson des nids,
C’est pour vous que j’ai fait renaître ma nature.

Aimez-vous, aimez-vous ; et de mon soleil d’or,
De mon printemps nouveau qui réjouit la terre,
Si vous êtes contents, au lieu d’une prière
Pour me remercier — embrassez-vous encor.

Un mois après ce jour, quand fleurirent les roses
Dans le petit jardin que nous avions planté,
Quand je t’aimais le mieux, sans m’en dire les causes
Brusquement ton amour de moi s’est écarté.

Où s’en est-il allé ? partout un peu, je pense ;
Car, faisant triompher l’une et l’autre couleur,
Ton amour inconstant flotte sans préférence
Du brun valet de pique au blond valet de cœur.

Te voilà maintenant heureuse : ton caprice
Règne sur une cour de galants jouvenceaux,
Et tu ne peux marcher sans qu’à tes pieds fleurisse
Un parterre émaillé d’odorants madrigaux.

Dans les jardins de bal, quand tu fais ton entrée,
Autour de toi se forme un cercle langoureux ;
Et le frémissement de ta robe moirée,
Pâme en chœur laudatif ta meute d’amoureux.

Élégamment chaussé d’une souple bottine
Qui serait trop étroite au pied de Cendrillon,
Ton pied est si petit qu’à peine on le devine
Quand la valse t’emporte en son gai tourbillon.

Dans les bains onctueux d’une huile de paresse,
Tes mains, brunes jadis, ont retrouvé depuis
La pâleur de l’ivoire ou du lis que caresse
Le rayon argenté dont s’éclairent les nuits.

Autour de ton bras blanc une perle choisie
Constelle un bracelet ciselé par Froment,
Et sur tes reins cambrés un grand châle d’Asie
En cascade de plis ondule artistement.