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ÉPILOGUE DES AMOURS DE RODOLPHE ET DE MIMI.

J’ai mis entre tes mains mon cœur et ma jeunesse
Et je t’ai dit : Fais-en tout ce que tu voudras.

Hélas ! ta volonté fut cruelle, ma chère :
Dans tes mains ma jeunesse est restée en lambeaux,
Mon cœur s’est en éclats brisé comme du verre,
Et ma chambre est le cimetière
Où sont enterrés les morceaux
De ce qui t’aima tant naguère.

Entre nous maintenant, n — i, ni, — c’est fini,
Je ne suis plus qu’un spectre et tu n’es qu’un fantôme,
Et sur notre amour mort et bien enseveli,
Nous allons, si tu veux, chanter le dernier psaume.

Pourtant ne prenons point un air écrit trop haut,
Nous pourrions tous les deux n’avoir pas la voix sûre ;
Choisissons un mineur grave et sans fioriture ;
Moi je ferai la basse et toi le soprano.

Mi, ré, mi, do, ré, la. — Pas cet air, ma petite !
S’il entendait cet air que tu chantais jadis,
Mon cœur, tout mort qu’il est, tressaillirait bien vite
Et ressusciterait à ce De Profundis.

Do, mi, fa, sol, mi, do. — Celui-ci me rappelle
Une valse à deux temps qui me fit bien du mal
Le fifre au rire aigu raillait le violoncelle
Qui pleurait sous l’archet ses notes de cristal.

Sol, do, do, si, si, la. — Point cet air, je t’en prie,
Nous l’avons, l’an dernier, ensemble répété
Avec des Allemands qui chantaient leur patrie
Dans les bois de Meudon, par une nuit d’été.

Eh bien ! ne chantons pas, restons-en là, ma chère ;
Et pour n’y plus penser, pour n’y plus revenir,
Sur nos amours défunts, sans haine et sans colère
Jetons en souriant un dernier souvenir.

Nous étions bien heureux dans ta petite chambre
Quand ruisselait la pluie et que soufflait le vent ;
Assis dans le fauteuil, près de l’âtre, en décembre
Aux lueurs de tes yeux j’ai rêvé bien souvent.