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ÉPILOGUE DES AMOURS DE RODOLPHE ET DE MIMI.

Rodolphe avait cherché à s’étourdir en prenant une autre maîtresse.

Celle-là même qui était blonde, et pour laquelle nous l’avons vu s’habiller en Roméo dans un jour de folie et de paradoxe. Mais cette liaison, qui n’était chez lui qu’une affaire de dépit, et chez l’autre qu’une affaire de caprice, ne pouvait pas avoir une longue durée. Cette jeune fille n’était, après tout, qu’une folle personne, vocalisant dans la perfection le solfége de la rouerie ; spirituelle assez pour remarquer l’esprit des autres et s’en servir à l’occasion, et n’ayant de cœur que pour y avoir mal, quand elle avait trop mangé. Avec tout cela, un amour-propre effréné et une coquetterie féroce qui l’eût poussé à préférer une jambe cassée à son amant plutôt qu’un volant de moins à sa robe ou un ruban fané à son chapeau. Beauté contestable, créature ordinaire, dotée nativement de tous les mauvais instincts, et cependant séductrice par certains côtés et à certaines heures. Elle ne tarda pas à s’apercevoir que Rodolphe l’avait prise uniquement pour l’aider à lui faire oublier l’absente, qu’elle lui faisait regretter au contraire, car jamais son ancienne amie n’avait été si bruyante et si vivante dans son cœur.

Un jour, Juliette, la nouvelle maîtresse de Rodolphe, causait de son amant le poëte avec un élève en médecine qui lui faisait la cour ; l’étudiant lui répondit :

— Ma chère enfant, ce garçon-là se sert de vous comme on se sert du nitrate pour cautériser les plaies, il veut se cautériser le cœur ; aussi vous avez bien tort de vous faire du mauvais sang et de lui être fidèle.

— Ah ! ah ! s’écria la jeune fille en éclatant de rire, est-ce que vous croyez bonnement que je me gêne ? Et le soir même elle donna à l’étudiant la preuve du contraire.

Grâce à l’indiscrétion d’un de ces amis officieux qui ne sauraient garder inédite la nouvelle susceptible de vous causer un chagrin, Rodolphe eut vent de l’affaire et s’en fit un prétexte pour rompre avec sa maîtresse par intérim.

Il s’enferma alors dans une solitude absolue, où toutes les chauves-souris de l’ennui ne tardèrent pas à venir faire leur nid, et il appela le travail à son secours, mais ce fut en vain. Chaque soir, après avoir sué autant de gouttes d’eau qu’il avait usé de gouttes d’encre, il écrivait une vingtaine de