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ROMÉO ET JULIETTE.

effet, une espèce de balcon. Mais cette chambre était au rez-de-chaussée, et ce balcon pouvait s’enjamber le plus facilement du monde.

Aussi Rodolphe fut-il tout atterré lorsqu’il s’aperçut de cette disposition locale qui mettait à néant son poétique projet d’escalade.

— C’est égal, dit-il à Juliette, nous pourrons toujours exécuter l’épisode du balcon. Voilà un oiseau qui nous éveillera demain par sa voix mélodieuse, et nous avertira du moment précis où nous devrons nous séparer l’un de l’autre avec désespoir. Et Rodolphe accrocha la cage dans un angle de la chambre.

Le lendemain, à cinq heures du matin, le pigeon fut parfaitement exact, et remplit la chambre d’un roucoulement prolongé qui aurait réveillé les deux amants s’ils avaient dormi.

— Eh bien, dit Juliette, voilà le moment d’aller sur le balcon et de nous faire des adieux désespérés ; qu’en penses-tu ?

— Le pigeon avance, dit Rodolphe ; nous sommes en novembre, le soleil ne se lève qu’à midi.

— C’est égal, dit Juliette, je me lève, moi.

— Tiens ! pourquoi faire ?

— J’ai l’estomac creux, et je ne te cacherai pas que je mangerais bien un peu.

— C’est extraordinaire l’accord qui règne dans nos sympathies, j’ai également une faim atroce, dit Rodolphe en se levant aussi et en s’habillant en toute hâte.

Juliette avait déjà allumé du feu, et cherchait dans son buffet si elle ne trouverait rien ; Rodolphe l’aidait dans ses recherches.

— Tiens, dit-il, des oignons !

— Et du lard, dit Juliette.

— Et du beurre.

— Et du pain.

— Hélas ! C’était tout !

Pendant ces recherches, le pigeon optimiste et insoucieux chantait sur son perchoir.

Roméo regarda Juliette, Juliette regarda Roméo ; tous deux regardèrent le pigeon.