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ROMÉO ET JULIETTE.

— Eh ! eh ! parbleu, dit Colline, je ne me trompe pas, c’est bien toi, j’en suis sûr.

— Et moi aussi, répondit Rodolphe.

Et Colline se mit à considérer son ami, en donnant à son visage l’expression employée par M. Lebrun, peintre du roi, pour exprimer la surprise. Mais tout à coup il aperçut deux objets bizarres dont Rodolphe était chargé : 1o une échelle de corde ; 2o une cage dans laquelle voltigeait un oiseau quelconque. À cette vue, la physionomie de Gustave Colline exprima un sentiment que M. Lebrun, peintre du roi, a oublié dans son tableau des Passions.

— Allons, dit Rodolphe à son ami, je vois distinctement la curiosité de ton esprit qui se met à la fenêtre de tes yeux ; je vais te satisfaire ; seulement, quittons la voie publique, il fait un froid qui gèlerait tes interrogations et mes réponses.

Et tous deux entrèrent dans un café.

Les yeux de Colline ne quittaient point l’échelle de corde, non plus que la cage où le petit oiseau, réchauffé par l’atmosphère du café, se mit à chanter dans une langue inconnue à Colline, qui était cependant polyglotte.

— Enfin, dit le philosophe en montrant l’échelle, qu’est-ce que c’est que ça ?

— C’est un trait d’union entre ma bonne amie et moi, répondit Rodolphe avec un accent de mandoline.

— Et ça ? dit Colline en indiquant l’oiseau.

— Ça, fit le poëte, dont la voix devenait douce comme le chant de la brise, c’est une horloge.

— Parle-moi donc sans paraboles, en vile prose, mais correctement.

— Soit. As-tu lu Shakspeare ?

— Si je l’ai lu ! To be or not be. C’était un grand philosophe… Oui, je l’ai lu.

— Te souviens-tu de Roméo et Juliette ?

— Si je m’en souviens ! dit Colline. Et il se mit à réciter :

Non, ce n’est pas le jour, ce n’est pas l’alouette,
Dont les chants ont frappé ton oreille inquiète ;
Non, c’est le rossignol…

Parbleu ! oui, je m’en souviens. Mais après ?