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ROMÉO ET JULIETTE.

— C’est vrai, fit Marcel, mais n’empêche. Plus tard, votre souvenir sera pour lui pareil à ces fleurs qu’on place encore toutes fraîches et toutes parfumées entre les feuillets d’un livre et que, bien longtemps après, on retrouve mortes, décolorées et flétries, mais ayant conservé toujours comme un vague parfum de leur fraîcheur première.

Un soir qu’elle fredonnait à voix basse autour de lui, M. le vicomte Paul dit à Mimi :

— Que chantez-vous là, ma chère ?

— L’oraison funèbre de nos amours que mon amant Rodolphe a composée dernièrement. Et elle se mit à chanter :

Je n’ai plus le sou, ma chère, et le Code,
Dans un cas pareil, ordonne l’oubli ;
Et sans pleurs, ainsi qu’une ancienne mode,
Tu vas m’oublier, n’est-ce pas, Mimi ?

C’est égal, vois-tu, nous aurons, ma chère,
Sans compter les nuits, passé d’heureux jours.
Ils n’ont pas duré longtemps ; mais qu’y faire ?
Ce sont les plus beaux qui sont les plus courts.



XXI

ROMÉO ET JULIETTE.


Mis comme une gravure de son journal l’Écharpe d’Iris, ganté, verni, rasé, frisé, la moustache en crocs, le stick en main, le monocle à l’œil, épanoui, rajeuni, tout à fait joli : tel on eût pu voir, un soir du mois de novembre, notre ami le poëte Rodolphe, qui, arrêté sur le boulevard, attendait une voiture pour se faire reconduire chez lui.