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MIMI A DES PLUMES.

filet que vous avez oubliée, ainsi que deux ou trois lettres également à vous…

— Je sais bien, fit Mimi avec un accent qui semblait vouloir dire : Je les ai oubliés exprès pour qu’il lui restât quelque souvenir de moi. Qu’en a-t-il fait ? ajouta-t-elle.

— Je crois me rappeler, dit Marcel, qu’il a jeté les lettres dans la cheminée et les gants par la fenêtre ; mais sans geste de théâtre, sans pose, fort naturellement, comme on peut le faire lorsqu’on se débarrasse d’une chose inutile.

— Mon cher monsieur Marcel, je vous assure qu’au fond de mon cœur je souhaite que cette indifférence dure. Mais encore une fois, là, bien sincèrement, je ne crois pas à une guérison si rapide, et, malgré tout ce que vous me dites, je suis convaincue que mon pauvre poëte a le cœur brisé.

— Cela se peut, répondit Marcel en quittant Mimi ; mais cependant, où je me trompe fort, les morceaux sont encore bons.

Pendant ce colloque sur la voie publique, M. le vicomte Paul attendait sa nouvelle maîtresse, qui se trouva fort en retard, et qui fut parfaitement désagréable avec M. le vicomte. Il se coucha à ses genoux et lui roucoula sa romance favorite, à savoir : qu’elle était charmante, pâle comme la lune, douce comme un mouton ; mais qu’il l’aimait surtout à cause des beautés de son âme.

— Ah ! pensait Mimi en déroulant les ondes de ses cheveux bruns sur la neige de ses épaules, mon amant Rodolphe n’était pas si exclusif.

II

Ainsi que Marcel l’avait annoncé, Rodolphe paraissait être radicalement guéri de son amour pour mademoiselle Mimi, et trois ou quatre jours après sa séparation d’avec elle, on vit reparaître le poëte complétement métamorphosé. Il était mis avec une élégance qui devait le rendre méconnaissable