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MIMI A DES PLUMES.

que j’y fasse ? Tant pis pour lui ! il l’a voulu ; il fallait que cela eût une fin, à la fin. Consolez-le… vous.

— Oh ! oh ! dit tranquillement Marcel, le plus gros de la besogne est fait. Ne vous inquiétez pas, Mimi.

— Vous ne dites pas la vérité, mon cher, reprit Mimi avec une petite moue ironique : Rodolphe ne se consolera pas si vite que cela ; si vous saviez dans quel état je l’ai vu, la veille de mon départ ! C’était le vendredi ; je n’avais pas voulu rester la nuit chez mon nouvel amant, parce que je suis superstitieuse et que le vendredi est un mauvais jour.

— Vous aviez tort, Mimi : en amour, le vendredi est un bon jour ; les anciens disaient : Dies Veneris.

— Je ne sais pas le latin, dit mademoiselle Mimi en continuant. Je m’en revenais donc de chez Paul ; j’ai trouvé Rodolphe qui m’attendait en faisant sentinelle dans la rue. Il était tard, plus de minuit, et j’avais faim, car j’avais mal dîné. Je priai Rodolphe d’aller chercher quelque chose pour souper. Il revint une demi-heure après ; il avait beaucoup couru pour rapporter pas grand’chose de bon : du pain, du vin, des sardines, du fromage et un gâteau aux pommes. Je m’étais couchée pendant son absence ; il dressa le couvert près du lit ; je n’avais pas l’air de le regarder, mais je le voyais bien : il était pâle comme la mort, il avait le frisson, et tournait dans la chambre comme un homme qui ne sait pas ce qu’il veut faire. Dans un coin, il aperçut plusieurs paquets de mes hardes qui étaient à terre. Cette vue parut lui faire du mal et il mit le paravent devant ces paquets pour ne plus les voir. Quand tout fut préparé, nous commençâmes à manger ; il essaya de me faire boire ; mais je n’avais plus ni faim ni soif, et j’avais le cœur tout serré. Il faisait froid, car nous n’avions pas de quoi faire du feu ; on entendait le vent qui soufflait dans la cheminée. C’était bien triste. Rodolphe me regardait, il avait les yeux fixes ; il mit sa main dans la mienne, et je sentis sa main trembler, elle était à la fois brûlante et glacée.

— C’est le souper des funérailles de nos amours, me dit-il tout bas. Je ne répondis rien, mais je n’eus pas le courage de retirer ma main de la sienne.

— J’ai sommeil, lui dis-je à la fin ; il est tard, dormons. Rodolphe me regarda : j’avais mis une de ses cravates