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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

peu respectueux pour son titre nouveau, il s’était moqué d’elle à outrance.

— Vous êtes méchant avec moi, Marcel, dit mademoiselle Mimi, c’est mal : j’ai toujours été très-bonne fille avec vous quand j’étais la maîtresse de Rodolphe ; mais si je l’ai quitté, après tout, c’est sa faute. C’est lui qui m’a renvoyée presque sans délai ; et encore, comment m’a-t-il traitée pendant les derniers jours que j’ai passés avec lui ? J’ai été bien malheureuse, allez ! Vous ne savez pas, vous, quel homme c’était que Rodolphe : un caractère pétri de colère et de jalousie, qui me tuait par petits morceaux. Il m’aimait, je le sais bien, mais son amour était dangereux comme une arme à feu ; et quelle existence que celle que j’ai menée pendant quinze mois ! Ah ! voyez-vous, Marcel, je ne veux pas me faire meilleure que je ne suis, mais j’ai bien souffert avec Rodolphe, vous le savez d’ailleurs aussi. Ce n’est point la misère qui me l’a fait quitter, non, je vous l’assure, j’y étais habituée d’abord ; et puis, je vous le répète, c’est lui qui m’a renvoyée. Il a marché à deux pieds sur mon amour-propre ; il m’a dit que je n’avais pas de cœur si je restais avec lui ; il m’a dit qu’il ne m’aimait plus, qu’il fallait que je fisse un autre amant ; il a même été jusqu’à me désigner un jeune homme qui me faisait la cour, et il a, par ses défis, servi de trait d’union entre moi et ce jeune homme. J’ai été avec lui autant par dépit que par nécessité, car je ne l’aimais pas ; vous savez bien cela, vous, je n’aime pas les si jeunes gens, ils sont ennuyeux et sentimentals comme des harmonicas. Enfin, ce qui est fait est fait, et je ne le regrette pas, et je ferais encore de même si c’était à refaire. Maintenant qu’il ne m’a plus avec lui et qu’il me sait heureuse avec un autre, Rodolphe est furieux et très-malheureux ; je sais quelqu’un qui l’a rencontré ces jours-ci ; il avait les yeux rouges. Cela ne m’étonne pas, j’étais bien sûre qu’il en arriverait ainsi et qu’il courrait après moi ; mais vous pouvez lui dire qu’il perdra son temps, et que cette fois-ci c’est tout à fait sérieux et pour de bon. Y a-t-il longtemps que vous l’avez vu, Marcel, et est-ce vrai qu’il est bien changé ? demanda Mimi avec un autre accent.

— Bien changé, en effet, répondit Marcel. Assez changé.

— Il se désole, cela est certain ; mais que voulez-vous