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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

— Au fait, pensa Marcel, peut-être n’était-elle point chez elle quand on lui a porté ma lettre. Elle la trouvera ce soir en rentrant, et elle viendra demain, il y aura encore du feu. Il est impossible qu’elle ne vienne pas. Allons, à demain. Et il s’endormit au coin de l’âtre.

Au moment même où Marcel s’endormait, rêvant d’elle, mademoiselle Musette sortait de chez son amie, madame Sidonie, chez qui elle était restée jusque-là. Musette n’était point seule, un jeune homme l’accompagnait, une voiture attendait à la porte, ils y montèrent tous deux ; la voiture partit au galop.

La partie de lansquenet continuait chez madame Sidonie.

— Où donc est Musette ? s’écria tout à coup quelqu’un.

— Où donc est le petit Séraphin ? dit une autre personne.

Madame Sidonie se mit à rire.

— Ils viennent de se sauver ensemble, dit-elle. Ah ! c’est une curieuse histoire. Quelle singulière créature que cette Musette ! Figurez-vous…

Et elle raconta à la société comment Musette, après s’être fâchée presque avec le vicomte Maurice, après s’être mise en chemin pour aller chez Marcel, était montée un instant par hasard chez elle, et comment elle y avait rencontré le jeune Séraphin.

— Ah ! je me doutais bien de quelque chose, dit Sidonie en interrompant son récit : je les ai observés toute la soirée : il n’est pas maladroit, ce petit bonhomme. Bref, continua-t-elle, ils sont partis sans dire gare, et bien fin qui les attraperait. C’est égal, c’est bien drôle, quand on pense que Musette est folle de son Marcel.

— Si elle en est folle, à quoi bon le Séraphin, un enfant presque ? il n’a jamais eu de maîtresse, dit un jeune homme.

— Elle veut lui apprendre à lire, fit le journaliste, qui était fort bête quand il avait perdu.

— C’est égal, reprit Sidonie, puisqu’elle aime Marcel, pourquoi Séraphin ? Voilà qui me passe.

— Hélas ! Oui, pourquoi ?

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Pendant cinq jours, et sans sortir de chez eux, les bohèmes menaient la plus joyeuse vie du monde. Ils restaient à table depuis le matin jusqu’au soir. Un admirable désordre