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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

Le coup d’œil de Marcel signifiait Musette ; le regard de Rodolphe voulait dire Mimi.

— Ça manque de femmes, dit tout à coup Schaunard.

— Sacrebleu ! hurla Colline, vas-tu te taire avec tes réflexions libertines ! Il a été convenu qu’on ne parlerait pas d’amour, ça fait tourner les sauces.

Et les amis recommencèrent à boire à plus amples rasades, pendant qu’en dehors la neige tombait toujours, et que dans l’âtre le bois flambait clair en tirant des feux d’artifice d’étincelles.

Au moment où Rodolphe fredonnait tout haut le couplet d’une chanson qu’il venait de trouver au fond de son verre, on frappa plusieurs coups à la porte.

À ce bruit, comme un plongeur qui, frappant du pied le fond de l’eau, remonte à la surface, Marcel, engourdi dans un commencement d’ivresse, se leva précipitamment de sa chaise et courut ouvrir.

Ce n’était point Musette.

Un monsieur parut sur le seuil. Il tenait à la main un petit papier. Son extérieur paraissait agréable, mais sa robe de chambre était bien mal faite.

— Je vous trouve en bonne disposition, dit-il en voyant la table, au milieu de laquelle apparaissait le cadavre d’un gigot colossal.

— Le propriétaire ! fit Rodolphe, qu’on lui rende les honneurs qui lui sont dus.

Et il se mit à battre aux champs sur son assiette avec son couteau et sa fourchette.

Colline lui offrit sa chaise, et Marcel s’écria :

— Allons, Schaunard, un verre blanc à Monsieur. Vous arrivez parfaitement à propos, dit l’artiste au propriétaire. Nous étions en train de porter un toast à la propriété. Mon ami que voilà, monsieur Colline, disait des choses bien touchantes. Puisque vous voici, il va recommencer pour vous faire honneur. Recommence un peu, Colline.

— Pardon, Messieurs, dit le propriétaire, je ne voudrais pas vous déranger.

Et il déploya le petit papier qu’il tenait à la main.

— Quel est cet imprimé ? demanda Marcel.

Le propriétaire, qui avait promené dans la chambre un