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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

avait jeté un grand éclat de rire au nez à cette proposition.

— Moi, mettre ma liberté en prison dans un contrat de mariage ? jamais ! dit-elle.

— Mais je passe ma vie à trembler de la crainte de vous perdre.

— Vous me perdriez bien plus si j’étais votre femme, répondit Musette. Ne parlons plus de cela. Je ne suis pas libre d’ailleurs, ajouta-t-elle, en songeant sans doute à Marcel.

Ainsi elle traversait sa jeunesse, l’esprit flottant à tous les vents de l’imprévu, faisant beaucoup d’heureux et se faisant presque heureuse elle-même. Le vicomte Maurice, avec qui elle était en ce moment, avait beaucoup de peine à se faire à ce caractère indomptable, ivre de liberté ; et ce fut dans une impatience oxydée de jalousie qu’il attendit le retour de Musette après l’avoir vue partir pour aller chez Marcel.

— Y restera-t-elle ? se demanda toute la soirée le jeune homme en s’enfonçant ce point d’interrogation dans le cœur.

— Ce pauvre Maurice ! disait Musette de son côté, il trouve ça un peu violent. Ah ! bah ! il faut former la jeunesse. Puis, son esprit passant subitement à d’autres exercices, elle pensa à Marcel, chez qui elle allait ; et, tout en passant en revue les souvenirs que réveillait le nom de son ancien adorateur, elle se demandait par quel miracle on avait mis la nappe chez lui. Elle relut, en marchant, la lettre que l’artiste lui avait écrite, et ne put s’empêcher d’être un peu attristée. Mais cela ne dura qu’un instant. Musette pensa avec raison que c’était moins que jamais l’occasion de se désoler, et comme en ce moment un grand vent venait de s’élever, elle s’écria :

— C’est bien drôle, je ne voudrais pas aller chez Marcel, que le vent m’y pousserait.

Et elle continua sa route en pressant le pas, joyeuse comme un oiseau qui revole à son premier nid.

Tout à coup la neige tomba avec abondance. Musette chercha des yeux si elle ne trouverait pas une voiture. Elle n’en rencontra point. Comme elle se trouvait précisément dans la rue où demeurait son amie madame Sidonie, celle-là qui lui avait fait parvenir la lettre de Marcel, Musette eut l’idée