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LES FANTAISIES DE MUSETTE.

s’il n’était pas si paresseux et s’il n’y avait pas eu de velours et de soieries dans les magasins ! ! ! J’étais bien heureuse avec lui ; il avait le talent de me faire souffrir, et c’est lui qui m’a donné le nom de Musette, à cause de mes chansons. Au moins, en allant chez lui, vous êtes sûr que je reviendrai auprès de vous… si vous ne me fermez pas la porte au nez.

— Vous ne pourriez pas avouer plus franchement que vous ne m’aimez pas, dit le jeune homme.

— Allons donc, mon cher Maurice, vous êtes trop homme d’esprit pour que nous engagions là-dessus une discussion sérieuse. Vous m’avez comme on a un beau cheval dans une écurie ; moi, je vous aime… parce que j’aime le luxe, le bruit des fêtes, tout ce qui résonne et tout ce qui rayonne ; ne faisons point de sentiment, ce serait ridicule et inutile.

— Au moins, laissez-moi aller avec vous.

— Mais vous ne vous amuserez pas du tout, fit Musette, et vous nous empêcherez de nous amuser. Songez donc qu’il va m’embrasser, ce garçon, nécessairement.

— Musette, dit Maurice, avez-vous souvent trouvé des gens aussi accommodants que moi ?

— Monsieur le vicomte, répliqua Musette, un jour que je me promenais en voiture aux Champs-Élysées avec lord***, j’ai rencontré Marcel et son ami Rodolphe qui étaient à pied, très-mal mis tous deux, crottés comme des chiens de berger, et fumant leur pipe. Il y avait trois mois que je n’avais vu Marcel, et il m’a semblé que mon cœur allait sauter par la portière. J’ai fait arrêter la voiture, et pendant une demi-heure j’ai causé avec Marcel devant tout Paris qui passait là en équipage. Marcel m’a offert des gâteaux de Nanterre et un bouquet de violettes d’un sou, que j’ai mis à ma ceinture. Quand il m’a eu quittée, lord*** voulait le rappeler pour l’inviter à dîner avec nous. Je l’ai embrassé pour la peine. Et voilà mon caractère, mon cher monsieur Maurice ; si ça ne vous plaît pas, il faut le dire tout de suite, je vais prendre mes pantoufles et mon bonnet de nuit.

— C’est donc quelquefois une bonne chose que d’être pauvre ! dit le vicomte Maurice avec un air plein de tristesse envieuse.

— Eh ! non, fit Musette : si Marcel était riche, je ne l’aurais jamais quitté.