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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

— C’est une invitation à dîner, fit la jeune femme. Hein ! comme ça se trouve ?

— Ça se trouve mal, dit le jeune homme.

— Pourquoi ça ? fit Musette.

— Comment !… penseriez-vous à aller à ce dîner ?

— Je le crois bien que j’y pense… Arrangez-vous comme vous voudrez.

— Mais, ma chère, cependant il n’est pas convenable… Vous irez une autre fois.

— Ah ! c’est joli, ça ! une autre fois ! C’est une ancienne connaissance, Marcel, qui m’invite à dîner, et c’est assez extraordinaire pour que j’aille voir ça en face ! Une autre fois ! mais c’est rare comme les éclipses, les dîners sérieux dans cette maison-là !

— Comment ! Vous nous manquez de parole pour aller voir cette personne, dit le jeune homme, et c’est à moi que vous le dites !…

— À qui voulez-vous que je le dise donc ? Au Grand Turc ? Ça ne le regarde pas, cet homme.

— Mais c’est une franchise singulière.

— Vous savez bien que je ne fais rien comme les autres, répliqua Musette.

— Mais que penserez-vous de moi si je vous laisse aller, sachant où vous allez ? Songez-y, Musette, pour moi, pour vous, cela est bien inconvenant : il faut vous excuser près de ce jeune homme…

— Mon cher monsieur Maurice, dit mademoiselle Musette d’une voix très-ferme, vous me connaissiez avant que de me prendre ; vous saviez que j’étais pleine de caprices, et que jamais âme qui vive n’a pu se vanter de m’en avoir fait rentrer un.

— Demandez-moi ce que vous voudrez… dit Maurice, mais cela !… Il y a caprice… et caprice…

— Maurice, j’irai chez Marcel : j’y vais, ajouta-t-elle en mettant son chapeau. Vous me quitterez si vous voulez ; mais c’est plus fort que moi ; c’est le meilleur garçon du monde, et le seul que j’aie jamais aimé. Si son cœur avait été en or, il l’aurait fait fondre pour me donner des bagues. Pauvre garçon ! dit-elle en montrant sa lettre… voyez, dès qu’il a un peu de feu, il m’invite à venir me chauffer. Ah !