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LES FANTAISIES DE MUSETTE.

quitte à les ressusciter. Entre gens comme nous… le dernier baiser n’est jamais le dernier. Ah ! s’il n’avait pas fait si froid l’an passé, tu ne m’aurais peut-être pas quitté. Tu m’as trompé pour un fagot, et parce que tu craignais d’avoir les mains rouges : tu as bien fait, je ne t’en veux pas plus pour cette fois-là que pour les autres ; mais viens te chauffer pendant qu’il y a du feu.

Je t’embrasse autant que tu voudras.

« Marcel. »

Cette lettre achevée, Marcel en écrivit une autre à madame Sidonie, l’amie de Musette, et il la priait de faire parvenir à celle-ci le billet qu’il lui adressait. Puis il descendit chez le portier pour le charger de porter les lettres. Comme il lui payait sa commission d’avance, le portier aperçut une pièce d’or reluire dans les mains du peintre ; et, avant de partir pour faire sa course, il monta prévenir le propriétaire, avec qui Marcel était en retard pour ses loyers.

Mossieu, dit-il tout essoufflé, l’artisse du sixième a de l’argent ! Vous savez, ce grand qui me rit au nez quand je lui porte la quittance.

— Oui, dit le propriétaire, celui qui a eu l’audace de m’emprunter de l’argent pour me donner un à-compte. Il a congé.

— Oui, Monsieur. Mais il est cousu d’or aujourd’hui, ça m’a brûlé les yeux tout à l’heure. Il donne des fêtes… C’est le bon moment…

— En effet, dit le propriétaire, j’irai moi-même tantôt.

Madame Sidonie, qui se trouvait chez elle quand on lui apporta la lettre de Marcel, envoya sur-le-champ sa femme de chambre remettre la lettre adressée à mademoiselle Musette.

Celle-ci habitait alors un charmant appartement dans la Chaussée-D’Antin. Au moment où on lui remit la lettre de Marcel, elle était en compagnie, et avait précisément, pour le même soir, un grand dîner de cérémonie.

— En voilà un miracle ! s’écria Musette en riant comme une folle.

— Qu’est-ce qu’il y a donc ? lui demanda un beau jeune homme roide comme une statuette.