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LE MANCHON DE FRANCINE.

— Eh bien, c’était le deuil : Jacques vous faisait porter le deuil de Francine.

À compter de ce jour, Jacques ne revit plus Marie.

Cette rupture lui porta malheur. Les mauvais jours revinrent : il n’eût plus de travaux et tomba dans une si affreuse misère, que ne sachant plus ce qu’il allait devenir, il pria son ami le médecin de le faire entrer dans un hôpital. Le médecin vit du premier coup d’œil que cette admission n’était pas difficile à obtenir. Jacques, qui ne se doutait pas de son état, était en route pour aller rejoindre Francine.

On le fit entrer à l’hôpital Saint-Louis.

Comme il pouvait encore agir et marcher, Jacques pria le directeur de l’hôpital de lui donner une petite chambre dont on ne se servait point, et il y fit apporter une selle, des ébauchoirs et de la terre glaise. Pendant les quinze premiers jours il travailla à la figure qu’il destinait au tombeau de Francine. C’était un grand ange aux ailes ouvertes. Cette figure, qui était le portrait de Francine, ne fut pas entièrement achevée, car Jacques ne pouvait plus monter l’escalier, et bientôt il ne put plus quitter son lit.

Un jour, le cahier de l’externe lui tomba entre les mains, et Jacques, en voyant les remèdes qu’on lui ordonnait, comprit qu’il était perdu ; il écrivit à sa famille, et fit appeler la sœur Sainte-Geneviève, qui l’entourait de tous ses soins charitables.

— Ma sœur, lui dit Jacques, il y a là-haut, dans la chambre que vous m’avez fait prêter, une petite figure en plâtre ; cette statuette, qui représente un ange, était destinée à un tombeau, mais je n’ai pas le temps de l’exécuter en marbre. Pourtant, j’en ai un beau morceau chez moi, du marbre blanc veiné de rose. Enfin… ma sœur, je vous donne ma petite statuette pour mettre dans la chapelle de la communauté.

Jacques mourut peu de jours après. Comme le convoi eut lieu le jour même de l’ouverture du salon, les Buveurs d’eau n’y assistèrent pas. L’art avant tout, avait dit Lazare.

La famille de Jacques n’était pas riche, et l’artiste n’eut pas de terrain particulier.

Il fut enterré quelque part.