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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

Comme le médecin la consolait de son mieux, un vent de bise secoua dans la chambre et jeta sur le lit de la malade une feuille jaune, arrachée à l’arbre de la petite cour.

Francine ouvrit le rideau et vit l’arbre dépouillé complétement.

— C’est la dernière, dit-elle en mettant la feuille sous son oreiller.

— Vous ne mourrez que demain, lui dit le médecin, vous avez une nuit à vous.

— Ah ! quel bonheur ! fit la jeune fille… une nuit d’hiver… elle sera longue.

Jacques rentra ; il apportait un manchon.

— Il est bien joli, dit Francine ; je le mettrai pour sortir.

Elle passa la nuit avec Jacques.

Le lendemain, jour de la Toussaint, à l’Angelus de midi, elle fut prise par l’agonie et tout son corps se mit à trembler.

— J’ai froid aux mains, murmura-t-elle ; donne-moi mon manchon.

Et elle plongea ses pauvres mains dans la fourrure…

— C’est fini, dit le médecin à Jacques ; va l’embrasser.

Jacques colla ses lèvres à celle de son amie. Au dernier moment, on voulait lui retirer le manchon, mais elle y cramponna ses mains.

— Non, non, dit-elle ; laissez-le-moi : nous sommes dans l’hiver ; il fait froid. Ah ! mon pauvre Jacques… Ah ! mon pauvre Jacques… qu’est-ce que tu vas devenir ? Ah ! mon Dieu !

Et le lendemain Jacques était seul.

Premier lecteur. — Je le disais bien que ce n’était point gai cette histoire.

Que voulez-vous, lecteur ? On ne peut pas toujours rire.


II

C’était le matin du jour de la Toussaint, Francine venait de mourir.

Deux hommes veillaient au chevet : l’un, qui se tenait debout, était le médecin ; l’autre, agenouillé près du lit, col-