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LE MANCHON DE FRANCINE.

Au mois d’octobre, Francine fut forcée de rester au lit. L’ami de Jacques la soignait… La petite chambrette où ils logeaient était située tout au haut de la maison et donnait sur une cour où s’élevait un arbre, qui chaque jour se dépouillait davantage. Jacques avait mis un rideau à la fenêtre pour cacher cet arbre à la malade : mais Francine exigea qu’on retirât le rideau.

— Ô mon ami, disait-elle à Jacques, je te donnerai cent fois plus de baisers qu’il n’a de feuilles… Et elle ajoutait : Je vais beaucoup mieux, d’ailleurs… Je vais sortir bientôt ; mais comme il fera froid, et que je ne veux pas avoir les mains rouges, tu m’achèteras un manchon. Pendant toute la maladie, ce manchon fut son rêve unique.

La veille de la Toussaint, voyant Jacques plus désolé que jamais, elle voulut lui donner du courage ; et, pour lui prouver qu’elle allait mieux, elle se leva.

Le médecin arriva au même instant, il la fit recoucher de force.

— Jacques, dit-il à l’oreille de l’artiste, du courage ! Tout est fini, Francine va mourir.

Jacques fondit en larmes.

— Tu peux lui donner tout ce qu’elle demandera maintenant, continua le médecin : il n’y a plus d’espoir.

Francine entendit des yeux ce que le médecin avait dit à son amant.

— Ne l’écoute pas, s’écria-t-elle en étendant les bras vers Jacques, ne l’écoute pas, il ment. Nous sortirons ensemble demain… c’est la Toussaint ; il fera froid, va m’acheter un manchon… Je t’en prie, j’ai peur des engelures pour cet hiver.

Jacques allait sortir avec son ami, mais Francine retint le médecin auprès d’elle.

— Va chercher mon manchon, dit-elle à Jacques ; prends-le beau, qu’il dure longtemps.

Et quand elle fut seule elle dit au médecin :

— Oh ! Monsieur, je vais mourir, et je le sais… Mais avant de m’en aller, trouvez-moi quelque chose qui me donne des forces pour une nuit, je vous en prie ; rendez-moi belle pour une nuit encore, et que je meure après, puisque le bon Dieu ne veut pas que je vive plus longtemps…