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LE MANCHON DE FRANCINE.

fois par minute. Et, comme ils étaient aussi maladroits l’un que l’autre, ils ne trouvèrent point la clef.

— La lune, qui est masquée par les nuages, donne en plein dans ma chambre, dit Jacques. Attendons un peu. Tout à l’heure elle pourra éclairer nos recherches.

Et, en attendant le lever de la lune, ils se mirent à causer. Une causerie au milieu des ténèbres, dans une chambre étroite, par une nuit de printemps ; une causerie qui, d’abord frivole et insignifiante, aborde le chapitre des confidences, vous savez où cela mène… Les paroles deviennent peu à peu confuses, pleines de réticences ; la voix baisse, les mots s’alternent de soupirs… Les mains qui se rencontrent achèvent la pensée qui, du cœur, monte aux lèvres, et… Cherchez la conclusion dans vos souvenirs, ô jeunes couples. Rappelez-vous, jeune homme, rappelez-vous, jeune femme, vous qui marchez aujourd’hui la main dans la main, et qui ne vous étiez jamais vus il y a deux jours.

Enfin, la lune se démasqua et sa lueur claire inonda la chambrette ; mademoiselle Francine sortit de sa rêverie en jetant un petit cri.

— Qu’avez-vous ? lui demanda Jacques, en lui entourant la taille de ses bras.

— Rien, murmura Francine ; j’avais cru entendre frapper. Et, sans que Jacques s’en aperçût, elle poussa du pied, sous un meuble, la clef qu’elle venait d’apercevoir.

Elle ne voulait pas la retrouver.

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Premier lecteur. — Je ne laisserai certainement pas cette histoire entre les mains de ma fille.

Deuxième lecteur. — Jusqu’à présent je n’ai point encore vu un seul poil du manchon de mademoiselle Francine ; et, pour cette jeune fille, je ne sais pas non plus comment elle est faite, si elle est brune ou blonde.

Patience, ô lecteurs, patience. Je vous ai promis un manchon, et je vous le donnerai à la fin, comme mon ami Jacques fit à sa pauvre amie Francine, qui était devenue sa maîtresse, ainsi que je l’ai expliqué dans la ligne en blanc qui se trouve au-dessus. Elle était blonde, Francine, blonde et gaie ; ce qui n’est pas commun. Elle avait ignoré l’amour jusqu’à vingt ans ; mais un vague pressentiment de sa fin prochaine