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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

cinq minutes elle eut entièrement repris connaissance, Francine expliqua le motif qui l’avait amenée chez l’artiste, et elle s’excusa beaucoup de ce qui était arrivé.

— Maintenant que je suis remise, ajouta-t-elle, je puis rentrer chez moi.

Et il avait déjà ouvert la porte du cabinet, lorsqu’elle s’aperçut que non-seulement elle oubliait d’allumer sa chandelle, mais encore qu’elle n’avait pas la clef de sa chambre.

— Étourdie que je suis, dit-elle, en approchant son flambeau du cierge de résine, je suis entrée ici pour avoir de la lumière, et j’allais m’en aller sans.

Mais, au même instant, le courant d’air établi dans la chambre par la porte et la fenêtre, qui étaient restées entr’ouvertes, éteignit subitement le cierge, et les deux jeunes gens restèrent dans l’obscurité.

— On croirait que c’est un fait exprès, dit Francine. Pardonnez-moi, Monsieur, tout l’embarras que je vous cause, et soyez assez bon pour faire de la lumière, pour que je puisse retrouver ma clef.

— Certainement, Mademoiselle, répondit Jacques en cherchant des allumettes à tâtons.

Il les eut bien vite trouvées. Mais une idée singulière lui traversa l’esprit ; il mit les allumettes dans sa poche, en s’écriant :

— Mon Dieu ! mademoiselle, voici bien un autre embarras. Je n’ai pas une seule allumette ici, j’ai employé la dernière quand je suis rentré.

J’espère que voilà une ruse crânement bien machinée ! pensa-t-il en lui-même.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! disait Francine, je puis bien encore rentrer chez moi sans chandelle : la chambre n’est pas si grande pour qu’on puisse s’y perdre. Mais il me faut ma clef ; je vous en prie, Monsieur, aidez-moi à chercher, elle doit être à terre.

— Cherchons, Mademoiselle, dit Jacques.

Et les voilà tous deux dans l’obscurité en quête de l’objet perdu ; mais, comme s’ils eussent été guidés par le même instinct, il arriva que pendant ces recherches leurs mains, qui tâtonnaient dans le même endroit, se rencontraient dix