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LE MANCHON DE FRANCINE.

Musette était surtout resplendissante de beauté.

— Je n’ai jamais été si contente, disait-elle à Marcel ; il me semble que le bon Dieu a mis dans cette heure-ci tout le bonheur de ma vie, et j’ai peur qu’il ne m’en reste plus ! Ah ! bah ! quand il n’y en aura plus, il y en aura encore. Nous avons la recette pour en faire, ajouta-t-elle gaiement en embrassant Marcel.

Quant à Phémie, une chose la chagrinait.

— J’aime bien la verdure et les petits oiseaux, disait-elle, mais à la campagne on ne rencontre personne, et on ne pourra pas voir mon joli chapeau et ma belle robe. Si nous allions à la campagne sur le boulevard ?

— À huit heures du matin, toute la rue était mise en émoi par les fanfares de la trompe de Schaunard qui donnait le signal du départ. Tous les voisins se mirent aux fenêtres pour regarder passer les bohèmes. Colline, qui était de la fête, fermait la marche, portant les ombrelles des dames. Une heure après, toute la bande joyeuse était dispersée dans les champs de Fontenay-aux-Roses.

Lorsqu’ils rentrèrent à la maison le soir, bien tard, Colline, qui, pendant la journée, avait rempli les fonctions de trésorier, déclara qu’on avait oublié de dépenser six francs, et déposa le reliquat sur une table.

— Qu’est-ce que nous allons en faire ? demanda Marcel.

— Si nous achetions de la rente ? dit Schaunard.



XVIII

LE MANCHON DE FRANCINE.

I


Parmi les vrais bohémiens de la vraie bohème, j’ai connu autrefois un garçon nommé Jacques D… ; il était sculpteur et promettait d’avoir un jour un grand talent. Mais la misère ne lui a pas donné le temps d’accomplir ses promesses. Il est