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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

sous la fenêtre de sa bien-aimée. Il peignait le ciel en bleu, les arbres en vert, et toutes choses en belles couleurs. Il réveillait le soleil engourdi qui dormait couché dans son lit de brouillards, la tête appuyée sur les nuages gros de neige qui lui servaient d’oreiller et il lui criait : Ha ! hé ! l’ami ! c’est l’heure, et me voici ! vite à la besogne ! mettez sans plus de retard votre bel habit fait de beaux rayons neufs, et montrez-vous tout de suite à votre balcon pour annoncer mon arrivée.

Sur quoi, le soleil s’était en effet mis en campagne, et se promenait fier et superbe comme un seigneur de la cour. Les hirondelles, revenues de leur pèlerinage d’Orient, emplissaient l’air de leur vol ; l’aubépine blanchissait les buissons ; la violette embaumait l’herbe des bois, où l’on voyait déjà tous les oiseaux sortir de leurs nids avec un cahier de romances sous leurs ailes. C’était le printemps en effet, le vrai printemps des poëtes et des amoureux, et non pas le printemps de Matthieu Laensberg, un vilain printemps qui a le nez rouge, l’onglée aux doigts, et qui fait encore frissonner le pauvre au coin de son âtre, où les dernières cendres de sa dernière bûche sont depuis longtemps éteintes. Les brises attiédies couraient dans l’air transparent, et semaient dans la ville les premières odeurs des campagnes environnantes. Les rayons du soleil, clairs et chaleureux, allaient frapper aux vitres des fenêtres. Au malade ils disaient : Ouvrez, nous sommes la santé ! et dans la mansarde de la fillette penchée à son miroir, cet innocent et premier amour des plus innocentes, ils disaient : Ouvre, la belle, que nous éclairions ta beauté ! nous sommes les messagers du beau temps ; tu peux maintenant mettre ta robe de toile, ton chapeau de paille et chausser ton brodequin coquet : voici que les bosquets où l’on danse sont panachés de belles fleurs nouvelles, et les violons vont se réveiller pour le bal du dimanche. Bonjour, la belle !

Comme l’angelus sonnait à l’église prochaine, les trois coquettes laborieuses, qui avaient eu à peine le temps de dormir quelques heures, étaient déjà devant leur miroir, donnant leur dernier coup d’œil à leur toilette nouvelle.

Elles étaient charmantes toutes trois, pareillement vêtues, et ayant sur le visage le même reflet de satisfaction que donne la réalisation d’un désir longtemps caressé.