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LA TOILETTE DES GRÂCES.

Et le lendemain matin, en effet, à l’heure même où nous avons vu, au commencement de ce chapitre, mademoiselle Mimi se réveiller très-étonnée de l’absence de Rodolphe, le poëte et ses deux amis montaient les escaliers de l’hôtel, accompagnés par un garçon des Deux Magots et par une modiste, qui portaient des échantillons. Schaunard, qui avait acheté la fameuse trompe, marchait devant en jouant l’ouverture de la Caravane.

Musette et Phémie, appelées par Mimi qui habitait l’entresol, sur la nouvelle qu’on leur apportait des chapeaux et des robes, descendirent les escaliers avec la rapidité d’une avalanche. En voyant toutes ces pauvres richesses étalées devant elles, les trois femmes faillirent devenir folles de joie. Mimi était prise d’une quinte d’hilarité et sautait comme une chèvre, en faisant voltiger une petite écharpe de barége. Musette s’était jetée au cou de Marcel, ayant dans chaque main une petite bottine verte, qu’elle frappait l’une contre l’autre comme des cymbales. Phémie regardait Schaunard en sanglotant, elle ne savait que dire :

— Ah ! mon Alexandre, mon Alexandre !

— Il n’y a point de danger qu’elle refuse les présents d’Artaxercès, murmurait le philosophe Colline.

Après le premier élan de joie passé, quand les choix furent faits et les factures acquittées, Rodolphe annonça aux trois femmes qu’elles eussent à s’arranger pour essayer leur toilette nouvelle le lendemain matin.

— On ira à la campagne, dit-il.

— La belle affaire ! s’écria Musette, ce n’est point la première fois que j’aurais acheté, taillé, cousu et porté une robe le même jour. Et d’ailleurs nous avons la nuit. Nous serons prêtes, n’est-ce pas, Mesdames ?

— Nous serons prêtes ! s’écrièrent à la fois Mimi et Phémie.

Sur-le-champ elles se mirent à l’œuvre, et pendant seize heures, elles ne quittèrent ni les ciseaux ni l’aiguille.

Le lendemain matin était le premier jour du mois de mai. Les cloches de Pâques avaient sonné depuis quelques jours la résurrection du printemps, et de tous les côtés il arrivait empressé et joyeux ; il arrivait, comme dit la ballade allemande, léger ainsi que le jeune fiancé qui va planter le mai