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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

Et le soir même il donna des ordres pour qu’on fît écouler son Océan. Il n’était que temps : il y avait déjà un banc d’huîtres sur le parquet.

Cependant M. Birn’n n’avait pas renoncé à la lutte, et cherchait un moyen légal de continuer cette guerre singulière, qui faisait les délices de tout Paris oisif ; car l’aventure avait été répandue dans les foyers de théâtre et autres lieux de publicité. Aussi Dolorès tenait-elle à honneur de sortir triomphante de cette lutte, à propos de laquelle des paris étaient engagés.

Ce fut alors que M. Birn’n avait imaginé le piano. Et ce n’était point si mal imaginé : le plus désagréable des instruments était de force à lutter contre le plus désagréable des volatiles. Aussi, dès que cette bonne idée lui était venue, s’était-il dépêché de la mettre à exécution. Il avait loué un piano, et il avait demandé un pianiste. Le pianiste, on se le rappelle, était notre ami Schaunard. L’Anglais lui raconta familièrement ses doléances à cause du perroquet de la voisine, et tout ce qu’il avait fait déjà pour tâcher d’amener l’actrice à composition.

— Mais, milord, dit Schaunard, il y a un moyen de vous débarrasser de cette bête : c’est le persil. Tous les chimistes n’ont qu’un cri pour déclarer que cette plante potagère est l’acide prussique de ces animaux ; faites hacher du persil sur vos tapis, et faites-les secouer par la fenêtre sur la cage de Coco : il expirera absolument comme s’il avait été invité à dîner par le pape Alexandre VI.

— J’y ai pensé, mais le bête est gardée, répondit l’Anglais ; le piano est plus sûr.

Schaunard regarda l’Anglais, et ne comprit pas tout d’abord.

— Voici ce que je avais combiné, reprit l’Anglais. La comédienne et son bête dormaient jusqu’à midi. Suivez bien mon raisonnement…

— Allez, fit Schaunard, je lui marche sur les talons.

— Je avais entrepris de lui troubler le sommeil. La loi de ce pays me autorise à faire de la musique depuis le matin jusqu’au soir. Comprenez-vous ce que je attends de vous ?…

— Mais, dit Schaunard, ce ne serait pas déjà si désa-