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DONEC GRATUS…

visage le fit revenir à lui ; à cette joyeuse fanfare, il reconnut ses anciennes amours.

C’était mademoiselle Musette.

— Ah ! s’écria-t-elle, monsieur Marcel qui fait la chasse aux aventures. Comment la trouves-tu celle-là, hein ? Elle ne manque pas de gaieté.

— Je la trouve supportable, répondit Marcel.

— Où vas-tu si tard dans ce quartier ? demanda Musette.

— Je vais dans ce monument, fit l’artiste en indiquant un petit théâtre où il avait ses entrées.

— Pour l’amour de l’art ?

— Non, pour l’amour de Laure. Tiens, pensa Marcel, voilà un calembour, je le vendrai à Colline : il en fait collection.

— Qu’est-ce que Laure ? continua Musette dont les regards jetaient des points d’interrogation.

Marcel continua sa mauvaise plaisanterie.

— C’est une chimère que je poursuis et qui joue les ingénues dans ce petit endroit. Et il chiffonnait de la main un jabot idéal.

— Vous êtes bien spirituel ce soir, dit Musette.

— Et vous bien curieuse, fit Marcel.

— Parlez donc moins haut, tout le monde nous entend ; on va nous prendre pour des amoureux qui se disputent.

— Ça ne serait pas la première fois que cela nous arriverait, dit Marcel.

Musette vit une provocation dans cette phrase et répliqua prestement :

— Et ça ne sera peut-être pas la dernière, hein ?

Le mot était clair ; il siffla comme une balle à l’oreille de Marcel.

— Splendeurs des cieux, dit-il en regardant les étoiles vous êtes témoins que ce n’est pas moi qui ai tiré le premier. Vite ma cuirasse !

À compter de ce moment le feu était engagé.

Il ne s’agissait plus que de trouver un trait d’union convenable pour aboucher ces deux fantaisies qui venaient de se réveiller si vivaces.

Tout en marchant, Musette regardait Marcel, et Marcel regardait Musette. Ils ne se parlaient pas ; mais leurs yeux, ces