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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

que nous usons à nous disputer jour et nuit. C’est avec ce système-là qu’on éternise les mariages. Unissez un oui avec un non, vous obtiendrez un ménage Philémon et Baucis. Votre intérieur va faire pendant au mien ; et si Schaunard et Phémie viennent demeurer dans la maison, comme ils nous en ont menacés, notre trio de ménages en fera une habitation bien agréable.

En ce moment Gustave Colline entra. On lui apprit l’accident qui venait d’arriver à Musette et à Marcel.

— Eh bien, philosophe, dit celui-ci, que penses-tu de ça ?

Colline gratta le poil du chapeau qui lui servait de toit, et murmura :

— J’en étais sûr d’avance. L’amour est un jeu du hasard. Qui s’y frotte s’y pique. Il n’est pas bon que l’homme soit seul.

Le soir, en rentrant, Rodolphe dit à Mimi :

— Il y a du nouveau. Musette est folle de Marcel, et ne veut plus le quitter.

— Pauvre fille ! répondit Mimi. Elle qui a si bon appétit !

— Et de son côté, Marcel est empoigné par Musette. Il l’adore à trente-six carats, comme dirait cet intrigant de Colline.

— Pauvre garçon ! dit Mimi, lui qui est si jaloux !

— C’est vrai, dit Rodolphe, lui et moi nous sommes élèves d’Othello.

Quelque temps après, aux ménages de Rodolphe et de Marcel vint se joindre le ménage de Schaunard ; le musicien emménageait dans la maison, avec Phémie, teinturière.

À compter de ce jour, tous les autres voisins dormirent sur un volcan, et, à l’époque du terme, ils envoyaient un congé unanime au propriétaire.

En effet, peu de jours se passaient sans qu’un orage éclatât dans l’un des ménages. Tantôt c’était Mimi et Rodolphe qui, n’ayant plus la force de parler, s’expliquaient à l’aide des projectiles qui leur tombaient sous la main. Le plus souvent c’était Schaunard qui faisait, du bout d’une canne, quelques observations à la mélancolique Phémie. Quant à Marcel et Musette, leurs discussions étaient renfermées dans le silence du huis clos ; ils prenaient au moins la précaution de fermer leurs portes et leurs fenêtres.