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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

— Non, dit Mimi, ce n’est point la peine ; il est bien temps de dormir.

Et cinq minutes après, sa jolie tête brune avait repris sa place sur l’oreiller ; et, d’une voix pleine de tendresse, elle appelait les lèvres de Rodolphe sur ses petites mains blanches aux veines bleues, dont la pâleur nacrée luttait avec les blancheurs du drap. Rodolphe n’alluma pas la bougie.

Le lendemain matin, Rodolphe se leva le premier ; et, montrant à Mimi plusieurs paquets, il lui dit très-doucement :

— Voici ce qui vous appartient, vous pouvez l’emporter ; je tiens ma parole.

— Oh ! dit Mimi, je suis bien fatiguée, voyez-vous, et je ne pourrai pas emporter tous ces gros paquets d’une seule fois. J’aime mieux revenir.

Et comme elle s’était habillée, elle prit seulement une collerette et une paire de manchettes.

— J’emporterai ce qui reste… petit à petit, ajouta-t-elle en souriant.

— Allons, dit Rodolphe, emporte tout ou n’emporte rien ; mais que cela finisse.

— Que cela recommence, au contraire, et que cela dure surtout, dit la jeune Mimi en embrassant Rodolphe.

Après avoir déjeuné ensemble, ils partirent pour aller à la campagne. En traversant le Luxembourg, Rodolphe rencontra un grand poëte qui l’avait toujours accueilli avec une charmante bonté. Par convenance, Rodolphe allait feindre de ne pas le voir. Mais le poëte ne lui en donna pas le temps ; et, en passant près de lui, il lui fit un geste amical, et salua sa jeune compagne avec un gracieux sourire.

— Quel est ce monsieur ? demanda Mimi.

Rodolphe lui répondit un nom qui la fit rougir de plaisir et d’orgueil.

— Oh ! dit Rodolphe, cette rencontre du poëte qui a si bien chanté l’amour est d’un bon augure, et portera bonheur à notre réconciliation.

— Je t’aime, va, dit Mimi en serrant la main de son ami, bien qu’ils fussent au milieu de la foule.

— Hélas ! pensa Rodolphe, lequel vaut le mieux, ou de se laisser tromper toujours pour avoir cru, ou ne croire jamais dans la crainte d’être trompé toujours ?