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LA CRÉMAILLIÈRE.

— Le malheureux ! s’écria Colline, pourquoi a-t-il pris mon paletot ?

— C’est par erreur.

— Mais mes livres… Il peut en faire un mauvais usage.

— N’aie point peur, il ne les lira pas, dit Rodolphe.

— Oui, mais je le connais, moi ; il est capable d’allumer sa pipe avec.

— Si tu es inquiet, tu peux le rattraper, dit Rodolphe, il vient de sortir à l’instant ; tu le trouveras à la porte.

— Certainement que je le rattraperai, répondit Colline en se couvrant de son chapeau, dont les bords sont si larges, qu’on pourrait facilement servir dessus un thé pour dix personnes.

— Et de deux, dit Marcel à Rodolphe ; te voilà libre, je m’en vais, et je recommanderai au portier de ne point ouvrir si on frappe.

— Bonne nuit, fit Rodolphe, et merci.

Comme il venait de reconduire son ami, Rodolphe entendit dans l’escalier un miaulement prolongé, auquel son chat écarlate répondit par un autre miaulement, en essayant avec subtilité une évasion par la porte entre-bâillée.

— Pauvre Roméo ! dit Rodolphe, voilà sa Juliette qui l’appelle ; allons, va, fit-il en ouvrant sa porte à la bête enamourée qui ne fit qu’un bond de l’escalier jusque entre les pattes de son amante.

Resté seul avec sa maîtresse qui, debout devant un miroir, bouclait ses cheveux dans une charmante attitude provocatrice, Rodolphe s’approcha de Mimi et l’enlaça dans ses bras. Puis, comme un musicien qui, avant de commencer son morceau, frappe un placage d’accords pour s’assurer de la capacité de son instrument, Rodolphe assit la jeune Mimi sur ses genoux et lui appuya sur l’épaule un long et sonore baiser qui imprima une vibration soudaine au corps de la printanière créature.

L’instrument était d’accord.