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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

— J’en suis très-curieux… Cependant, si vous étiez fatigué, dit le poëte, il ne faudrait pas…

Chapitre III ! dit Carolus d’une voix claire.

Rodolphe examina attentivement Carolus, et s’aperçut qu’il avait le cou très-court et le teint sanguin. J’ai encore un espoir, pensa le poëte après qu’il eut fait cette découverte. C’est l’apoplexie.

— Nous allons passer au Chapitre IV. Vous aurez l’obligeance de me dire ce que vous pensez de la scène d’amour.

Et Carolus reprit sa lecture.

Dans un moment où il regardait Rodolphe pour lire sur sa figure l’effet que produisait son dialogue, Carolus aperçut le poëte qui, incliné sur sa chaise, tendait la tête dans l’attitude d’un homme qui écoute des sons lointains.

— Qu’avez-vous ? lui demanda-t-il.

— Chut ! dit Rodolphe : n’entendez-vous pas ? Il me semble qu’on crie au feu ! Si nous allions voir ?

Carolus écouta un instant, mais n’entendit rien.

— L’oreille m’aura tinté, fit Rodolphe, continuez ; don Alvar m’intéresse prodigieusement ; c’est un noble jeune homme.

Carolus continua à lire et mit toute la musique de son organe sur cette phrase du jeune don Alvar.

« Ô Inésille, qui que vous soyez, ange ou démon, et quelle que soit votre patrie, ma vie est à vous, et je vous suivrai, fût-ce au ciel, fût-ce en enfer. »

En ce moment on frappa à la porte, et une voix appela Carolus du dehors.

— C’est mon portier, dit-il en allant entre-bâiller sa porte.

C’était en effet le portier ; il apportait une lettre ; Carolus l’ouvrit avec précipitation. Fâcheux contre-temps, dit-il ; nous sommes obligés de remettre la lecture à une autre fois ; je reçois une nouvelle qui me force à sortir sans retard.

— Oh ! pensa Rodolphe, voilà une lettre qui tombe du ciel ; je reconnais le cachet de la Providence.

— Si vous voulez, reprit Carolus, nous ferons ensemble la course à laquelle m’oblige ce message, après quoi nous irons dîner.

— Je suis à vos ordres, dit Rodolphe.