— Télémaque, il est beaucoup sur le quai, fit Colline. On l’y trouve à toute heure, je l’ai acheté cinq sous, parce que c’était une occasion ; cependant je consentirais à m’en défaire pour vous obliger. Au reste, bon ouvrage, et bien rédigé, pour le temps.
— Oui, Monsieur, continua Carolus, la haute philosophie et la saine littérature, voilà où j’aspire. À mon sens, l’art est un sacerdoce.
— Oui, oui, oui… dit Colline, il y a aussi une chanson là-dessus.
Et il se mit à chanter :
Oui, l’art est sacerdoce
Et sachons nous en servir.
Je crois que c’est dans Robert le Diable, ajouta-t-il.
— Je disais donc que, l’art étant une fonction solennelle, les écrivains doivent incessamment…
— Pardon, Monsieur, interrompit Colline qui entendait sonner une heure avancée, il va être demain matin, et je crains de rendre inquiète une personne qui m’est chère ; d’ailleurs, murmura-t-il à lui-même, je lui avais promis de rentrer… c’est son jour !
— En effet, il est tard, dit Carolus ; retirons-nous.
— Vous logez loin ? demanda Colline.
— Rue Royale-Saint-Honoré, numéro 10…
Colline avait eu autrefois occasion d’aller dans cette maison, et se ressouvint que c’était un magnifique hôtel.
— Je parlerai de vous à ces messieurs, dit-il à Carolus en le quittant, et soyez sûr que j’userai de toute mon influence pour qu’ils vous soient favorables… Ah ! permettez-moi de vous donner un conseil.
— Parlez, dit Carolus.
— Soyez aimable et galant avec mesdemoiselles Mimi, Musette et Phémie ; ces dames exercent une autorité sur mes amis, et, en sachant les mettre sous la pression de leurs maîtresses, vous arriveriez plus facilement à obtenir ce que vous voulez de Marcel, Schaunard et Rodolphe.
— Je tâcherai, dit Carolus.
Le lendemain, Colline tomba au milieu du phalanstère bohème : c’était l’heure du déjeuner, et le déjeuner était arrivé