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UNE RÉCEPTION DANS LA BOHÈME.

carreaux de la porte vitrée. Ces précautions prises, il parut moins inquiet et fit venir un bol de punch. Excité un peu par la chaleur du breuvage, Barbemuche devint plus communicatif ; et, après avoir donné quelques détails sur lui-même, il osa articuler l’espérance qu’il avait conçue de faire officiellement partie de la Société des bohèmes, et il sollicitait l’appui de Colline pour l’aider dans la réussite de ce dessein ambitieux.

Colline répondit que pour son compte il se tenait tout à la disposition de Barbemuche, mais qu’il ne pouvait cependant rien assurer d’une manière absolue.

— Je vous promets ma voix, dit-il, mais je ne puis prendre sur moi de disposer de celle de mes camarades.

— Mais, fit Barbemuche, pour quelles raisons refuseraient-ils de m’admettre parmi eux ?

Colline déposa sur la table le verre qu’il se disposait à porter à sa bouche, et d’un air très-sérieux parla à peu près ainsi à l’audacieux Carolus :

— Vous cultivez les beaux-arts ? demanda Colline.

— Je laboure modestement ces nobles champs de l’intelligence, répondit Carolus, qui tenait à arborer les couleurs de son style.

Colline trouva la phrase bien mise, et s’inclina :

— Vous connaissez la musique ? fit-il.

— J’ai joué de la contre-basse.

— C’est un instrument philosophique, il rend des sons graves. Alors, si vous connaissez la musique, vous comprenez qu’on ne peut pas, sans blesser les lois de l’harmonie, introduire un cinquième exécutant dans un quatuor ; autrement ça cesse d’être quatuor.

— Ça devient un quintette, répondit Carolus.

— Vous dites ? fit Colline.

— Quintette.

— Parfaitement, de même que, si à la Trinité, ce divin triangle, vous ajoutez une autre personne, ça ne sera plus la Trinité, ce sera un carré, et voilà une religion fêlée dans son principe !

— Permettez, dit Carolus, dont l’intelligence commençait à trébucher parmi toutes les ronces du raisonnement de Colline, je ne vois pas bien…