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UNE RÉCEPTION DANS LA BOHÈME.

— Permettez, Monsieur, dit-il avec vivacité, vous n’avez pas l’honneur de nous connaître, et les convenances s’opposent à ce que… Auriez-vous la bonté de me donner une pipe de tabac ?… Du reste, je serai de l’avis de mes amis…

— Messieurs, reprit Barbemuche, je suis comme vous un disciple des beaux-arts. Autant que j’ai pu m’en apercevoir en vous entendant causer, nos goûts sont les mêmes, j’ai le plus vif désir d’être de vos amis, et de pouvoir vous retrouver ici chaque soir… Le propriétaire de cet établissement est un brutal, mais je lui ai dit deux mots, et vous êtes libres de vous retirer… J’ose espérer que vous ne me refuserez pas les moyens de vous retrouver en ces lieux, en acceptant le léger service que…

La rougeur de l’indignation monta au visage de Schaunard.

— Il spécule sur notre situation, dit-il, nous ne pouvons pas accepter. Il a payé notre addition : je vais lui jouer les vingt-cinq francs au billard, et je lui rendrai des points.

Barbemuche accepta la proposition et eut le bon esprit de perdre, mais ce beau trait lui gagna l’estime de la Bohème.

On se quitta en se donnant rendez-vous pour le lendemain.

— Comme ça, disait Schaunard à Marcel, nous ne lui devons rien ; notre dignité est sauvegardée.

— Et nous pouvons presque exiger un nouveau souper ajouta Colline.



XII

UNE RÉCEPTION DANS LA BOHÈME.


Le soir où il avait, dans un café, soldé sur sa cassette particulière la note d’un souper consommé par les bohèmes, Carolus s’était arrangé de façon à se faire accompagner par Gustave Colline. Depuis qu’il assistait aux réunions des quatre amis dans l’estaminet où il les avait tirés d’embarras,