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LE CAP DES TEMPÊTES.

Un aimable sourire illumina les rides du propriétaire ; et il n’y eut pas jusqu’à son sac vide qui ne se gonflât d’espérance.

— Qu’est-ce que je vous dois ? demanda Rodolphe.

— D’abord, nous avons trois mois de loyer à vingt-cinq francs ; ci, soixante-quinze francs.

— Sauf erreur, dit Rodolphe. Après ?

— Plus, trois paires de bottes à vingt francs.

— Un instant, un instant, monsieur Benoît, ne confondons pas ; je n’ai plus affaire au propriétaire, mais au bottier… je veux un compte à part. Les chiffres sont chose grave, il ne faut pas s’embrouiller.

— Soit, dit M. Benoît, adouci par l’espoir qu’il avait de mettre enfin un acquit au bas de ses mémoires. Voici une note particulière pour la chaussure. Trois paires de bottes à vingt francs ; ci, soixante francs.

Rodolphe jeta un regard de pitié sur une paire de bottes fourbues.

— Hélas ! pensa-t-il, elles auraient servi au Juif errant qu’elles ne seraient point pires. C’est pourtant en courant après Marie qu’elles se sont usées ainsi… Continuez, monsieur Benoît…

— Nous disons soixante francs, reprit celui-ci. Plus, argent prêté, vingt-sept francs.

— Halte-là, monsieur Benoît. Nous sommes convenus que chaque saint aurait sa niche. C’est à titre d’ami que vous m’avez prêté de l’argent. Or donc, s’il vous plaît, quittons le domaine de la chaussure, et entrons dans les domaines de la confiance et de l’amitié, qui exigent un compte à part. À combien se monte votre amitié pour moi ?

— Vingt-sept francs.

— Vingt-sept francs. Vous avez un ami à bon marché, monsieur Benoît. Enfin, nous disons donc : soixante-quinze, soixante et vingt-sept… Tout cela fait ?

— Cent soixante-deux francs, dit M. Benoît en présentant les trois notes.

— Cent soixante-deux francs, fit Rodolphe… c’est extraordinaire. Quelle belle chose que l’addition ! Eh bien ! monsieur Benoît, maintenant que le compte est réglé, nous pouvons être tranquilles tous les deux, nous savons à quoi nous