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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

peu gré à son cousin qui lui avait procuré toutes ces petites satisfactions d’amour-propre, et elle aurait peut-être pensé à lui davantage sans les galantes persécutions d’un parent de la mariée qui avait dansé plusieurs fois avec elle. C’était un jeune homme blond, et porteur d’une de ces superbes paires de moustaches relevées en crocs, qui sont les hameçons où s’accrochent les cœurs novices. Le jeune homme avait déjà demandé à Angèle qu’elle lui donnât les deux roses blanches qui restaient de son bouquet, effeuillé par tout le monde… Mais Angèle avait refusé, pour oublier à la fin du bal les deux fleurs sur une banquette, où le jeune homme blond courut les prendre.

À ce moment-là il y avait quatorze degrés de froid dans le belvédère de Rodolphe, qui, appuyé à sa fenêtre, regardait du côté de la barrière du Maine les lumières de la salle de bal où dansait sa cousine Angèle, qui ne pouvait pas le souffrir.



X

LE CAP DES TEMPÊTES.


Il y a dans les mois qui commencent chaque nouvelle saison des époques terribles : le 1er et le 15 ordinairement. Rodolphe, qui ne pouvait voir sans effroi approcher l’une ou l’autre de ces deux dates, les appelait le cap des Tempêtes. Ce jour-là, ce n’est point l’Aurore qui ouvre les portes de l’Orient, ce sont des créanciers, des propriétaires, des huissiers et autres gens de sac…oches. Ce jour-là commence par une pluie de mémoires, de quittances, de billets, et se termine par une grêle de protêts, Dies iræ !

Or, le matin d’un 15 avril, Rodolphe dormait fort paisiblement… et rêvait qu’un de ses oncles lui léguait par testament toute une province du Pérou, les Péruviennes avec.

Comme il nageait en plein dans un Pactole imaginaire, un bruit de clef tournant dans la serrure vint interrompre l’hé-