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CE QUE COÛTE UNE PIÈCE DE CINQ FRANCS.

vert et une canne à pomme d’or… une Providence très-bien mise.

C’était un garçon obligeant et riche, quoique phalanstérien.

— Je suis ravi de vous voir, dit-il à Rodolphe ; venez donc me conduire un peu, nous causerons.

— Allons, je vais subir le supplice du phalanstère, murmura Rodolphe en se laissant entraîner par le chapeau blanc, qui, en effet, le phalanstérina à outrance.

Comme ils approchaient du pont des Arts, Rodolphe dit à son compagnon :

— Je vous quitte, n’ayant pas de quoi acquitter cet impôt.

— Allons donc, dit l’autre en retenant Rodolphe, et en jetant deux sous à l’invalide.

— Voilà le moment venu, pensait le rédacteur de l’Écharpe d’Iris en traversant le pont ; et arrivé au bout, devant l’horloge de l’Institut, Rodolphe s’arrêta court, montra le cadran avec un geste désespéré et s’écria :

— Sacrebleu ! Cinq heures moins un quart ! Je suis perdu ?

— Qu’y a-t-il ? dit l’autre étonné.

— Il y a, dit Rodolphe, que, grâce à vous, qui m’avez entraîné malgré moi jusqu’ici, j’ai manqué un rendez-vous.

— Important ?

— Je le crois bien, de l’argent que je devais aller chercher à cinq heures… aux Batignolles… Jamais je n’y serai… Sacrebleu ! comment faire ?…

— Parbleu ! dit le phalanstérien, c’est bien simple, venez chez moi, je vous en prêterai.

— Impossible ! Vous demeurez à Montrouge, et j’ai une affaire à six heures Chaussée-d’Antin… Sacrebleu !…

— J’ai quelques sous sur moi, dit timidement la Providence… mais très-peu.

— Si j’avais de quoi prendre un cabriolet, peut-être arriverais-je à temps aux Batignolles.

— Voilà le fond de ma bourse, mon cher, trente et un sous.

— Donnez vite, donnez que je me sauve ! dit Rodolphe qui venait d’entendre sonner cinq heures, et il se hâta de courir au lieu de son rendez-vous.

— Ç’a été dur à tirer, fit-il en comptant sa monnaie. Cent