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LES FLOTS DU PACTOLE.

Marcel lui montra la quittance.

— Ah ! Oui, fit Baptiste négligemment, j’avais oublié de vous le dire, c’est le propriétaire qui est venu ce matin pendant que vous étiez sortis. Je l’ai payé, pour lui éviter la peine de revenir.

— Où avez-vous trouvé de l’argent ?

— Ah ! Monsieur, fit Baptiste, je l’ai prise dans le tiroir qui était ouvert ; j’ai même pensé que ces Messieurs l’avaient laissé ouvert dans cette intention, et je me suis dit : Mes maîtres ont oublié de me dire en sortant : « Baptiste, le propriétaire viendra toucher son terme de loyer, il faudra le payer ; » et j’ai fait comme si l’on m’avait commandé… sans qu’on m’ait commandé.

— Baptiste, dit Marcel avec une colère blanche, vous avez outrepassé nos ordres ; à compter d’aujourd’hui vous ne faites plus partie de notre maison. Baptiste, rendez votre livrée !

Baptiste ôta la casquette de toile cirée qui composait sa livrée et la rendit à Marcel.

— C’est bien, dit celui-ci : maintenant vous pouvez partir…

— Et mes gages ?

— Comment dites-vous, drôle ? Vous avez reçu plus qu’on ne vous devait. Je vous ai donné 14 fr. en quinze jours à peine. Qu’est-ce que vous faites de tant d’argent ? vous entretenez donc une danseuse ?

— De corde, ajouta Rodolphe.

— Je vais donc rester abandonné, dit le malheureux domestique, sans abri pour garantir ma tête !

— Reprenez votre livrée, répondit Marcel ému malgré lui.

Et il rendit la casquette à Baptiste.

— C’est pourtant ce malheureux qui a dilapidé notre fortune, dit Rodolphe en voyant sortir le pauvre Baptiste. Où dînerons-nous aujourd’hui ?

— Nous le saurons demain, répondit Marcel.