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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

çon intelligent ; et s’il a quelque teinture d’orthographe, je lui apprendrai à rédiger.

— Ça lui sera une ressource pour ses vieux jours, dit Marcel en additionnant la carte qui se montait à quinze francs. Tiens, c’est assez cher. Habituellement, nous dînions pour trente sous à nous deux.

— Oui, reprit Rodolphe, mais nous dînions mal, et nous étions obligés de souper le soir. À tout prendre, c’est donc une économie.

— Tu es comme le plus fort, murmura l’artiste vaincu par ce raisonnement, tu as toujours raison. Est-ce que nous travaillons ce soir ?

— Ma foi, non. Moi, je vais aller voir mon oncle, dit Rodolphe ; c’est un brave homme, je lui apprendrai ma nouvelle position, et il me donnera de bons conseils. Et toi, où vas-tu, Marcel ?

— Moi, je vais aller chez le vieux Médicis pour lui demander s’il n’a pas de restaurations de tableaux à me confier. À propos, donne-moi donc cinq francs.

— Pourquoi faire ?

— Pour passer le pont des Arts.

— Ah ! ceci est une dépense inutile, et, quoique peu considérable, elle s’éloigne de notre principe.

— J’ai tort, en effet, dit Marcel, je passerai par le pont Neuf… Mais je prendrai un cabriolet.

Et les deux amis se quittèrent en prenant chacun un chemin différent, qui, par un singulier hasard, les conduisit tous deux au même endroit, où ils se retrouvèrent.

— Tiens, tu n’as donc pas trouvé ton oncle ? demanda Marcel.

— Tu n’as donc point vu Médicis ? demanda Rodolphe.

Et ils éclatèrent de rire.

Cependant ils rentrèrent chez eux de très-bonne heure… le lendemain.

Deux jours après, Rodolphe et Marcel étaient complétement métamorphosés. Habillés tous deux comme des mariés de première classe, ils étaient si beaux, si reluisants, si élégants, que, lorsqu’ils se rencontraient dans la rue, ils hésitaient à se reconnaître l’un l’autre.

Leur système d’économie était, du reste, en pleine vi-