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ÉTUDES

des poètes, surtout quand Mimi et Musette courront l’aventure.

Il y aura bientôt vingt ans que j’ai connu Henry Murger. C’était à l’Artiste ; il venait m’apporter ses premiers vers : en moins de cinq minutes nous étions les meilleurs amis du monde.

— Vous connaissez Alfred de Musset ? lui dis-je en lisant ses vers.

— Non, me répondit-il ; je ne l’ai jamais vu.

— Vous ne l’avez jamais vu ! Mais vous l’avez lu, car vous êtes son cousin germain.

Gérard de Nerval était là qui écrivait une page de voyage ; il leva la tête et regarda le nouveau venu. Je relus les vers tout haut, voulant que Gérard de Nerval reconnût aussi un ami de plus.

Gérard, qui avait posé, quelques années plus tôt, la première pierre de ce que nous appelions le dernier château du roi de Bohème, reconnut un des nôtres, jeta sa plume en l’air, et nous voilà partis tous les trois à perte de vue dans les méandres impossibles des chercheurs de poésie.

Ce qui nous plut dans Henry Murger, c’est que, s’il mêlait un grain d’ironie à toute chose, il gardait son cœur tout entier, et ne cherchait pas, comme les don Juan de ce temps-là, à le masquer sous les airs byroniens. Il était pâle et ravagé ; déjà il avait traversé la bohème sans le savoir. Il ne se plaignait de rien, si ce n’était d’écrire dans un journal de modes, lui dont l’habit datait de trop longtemps.