Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
L’ARÊTE DE FURGGEN

l’arête et nous continuons notre ascension sans difficultés d’aucune sorte, jusqu’à ce que nous ayons atteint, à 9 h. mat., la grande tour que l’on aperçoit de Zermatt sur la ligne gauche du ciel juste en-dessous du pic terminal. Arrivés à la brèche, entre la tour et la masse de la montagne, nous dominions un couloir de la plus épouvantable pente. Loin au dessous de nous, au milieu des rocs de ses arêtes inférieures, des vapeurs se mouvaient en se contournant, semblables dans leur agitation sans trêve à des esprits à demi éveillés attendant leur victime. Ce profond abîme me paraissait si étrange et mystérieux que je m’attendais presque avoir ces arabesques nuageuses prendre la forme d’un corps et jeter à la mort ces mortels téméraires qui avaient surpris les Trépassés dans leur sabbat nocturne.

Très au delà, les grandes arêtes, armées de fantastiques séracs, se profilaient parfois, coupées net sur un ciel bleu-noir, et bientôt après les rocs étaient cachés dans un nuage barbouillé de neige volante ; le rugissement de chaque furieuse rafale était suivi du bruit terrifiant des chutes de glaçons, et du fracas des gros blocs de rochers précipités du sommet.

Le pic terminal paraissait formidable, et, avec un pareil temps, ne pouvait être raisonnablement attaqué dans des conditions suffisantes de sécurité. Nous décidons en conséquence de revenir par le travers à la route du Hörnli[1]. Escaladant une seconde tour, précisément au-

  1. L’ascension du Cervin par l’Arête de Furggen a été tentée à nouveau, le 11 août 1890, par M. Guido Rey (Voy. Hivisla Mensile, X, p. 210). Le célèbre alpiniste italien revint à la charge, le 24 et le 28 août 1899. Une fois arrivé à l’Épaule de Furggen, dernier point atteint par Mummery avant sa traversée vers l’Épaule du Hörnli, il ne put réussir à escalader l’arête que grâce à une corde jetée du dernier ressaut de l’arête par une caravane de guides envoyée à cette intention par la route du Hornli, le sommet et le haut de l’arête ; il ne put même pas réussir à surmonter un terrible sur-