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LE CERVIN

neige de la face Est, une falaise abrupte garde de toute approche la partie supérieure de la montagne ; le couloir de rocher, cité plus haut, semblait le seul point où nous pouvions briser et franchir ses défenses. La principale objection à ce projet était la fréquence certaine des avalanches de pierres et l’impossibilité de gagner commodément la base du couloir sinon en ascensionnant la profonde rainure creusée par ces mêmes pierres dans la partie inférieure de la pente déglacé. Nous sommes pourtant tous d’accord qu’en plein XIXe siècle il n’est pas probable que des pierres bien élevées se mettent en mouvement à cinq heures du matin, aussi tournons-nous deux rimayes, et escaladons-nous le couloir d’avalanche, en nous élançant à une furieuse allure ; un bruit de pierre vient même stimuler à son maximum la rapidité de nos mouvements. Le couloir de roc se trouve verglassé et non sans difficultés ; et nous ne pouvons l’escalader que précisément dans la ligne de tir. C’est donc avec une sensation profonde de joie que nous apercevons un défaut dans la falaise à notre gauche et que nous pouvons y trouver une route vers les faciles pentes de la face même.

Là nous faisons halte pour reprendre haleine, car l’exercice désespéré que nous venons de faire a été trop violent, pour être du goût même du plus habile de la caravane. Un petit filet d’eau, que le soleil venait d’éveiller de son sommeil glacé, nous invitait au déjeuner ; les sacs furent dépliés et nous nous étendîmes pour prendre du repos pendant une demi-heure. Loin dans le bas, une caravane se dirigeait sur le Col de Furggen ; nous ayant aperçus elle fit retentir les échos de la montagne de ses joyeux jodels.

En nous portant sur la gauche nous atteignons bientôt