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LE CERVIN

les bras étendus, traverse notre sentier, et, instantanément se replonge dans la nuit noire. J’avoue volontiers que moi-même, le sceptique, je sursautai à cette apparition, et que je restai immobile, pénétré d’une horreur et d’une crainte superstitieuses. Les guides, eux, étaient agités d’autres sentiments. Sachant qu’à quelques mètres se trouvait la chapelle, consacrée, du Lac Noir, ils me contrepassèrent brusquement et se précipitèrent, en une panique folle, vers cette oasis, vers ce refuge contre toute crainte.

Une seconde fois l’apparition se plaça devant nous, mais nous pouvions maintenant nous rendre compte que notre mystérieux ennemi n’était autre que le portier même de l’édifice sacré. Une chandelle laissée dans la chapelle par Taugwalder avait jeté un rayon de lumière sur le porche de bois, alors que la porte s’était ouverte et refermée sous une poussée du vent.

Les guides entrent faire leurs dévotions pendant que je continue lentement ma route. Près du Glacier de Furggen, je m’asseois sur une pierre et j’attends. Au bout d’une demi-heure j’en viens à me demander si quelque nouvelle bande d’Esprits ne les a pas ramenés incontinent à Zermatt. Fort heureusement, comme la première ligne grise du matin commençait à se montrer à l’Orient, mes appels étaient entendus ; et, réunis de nouveau, nous avancions rapidement sur le glacier. Quand le soleil se leva, ses premiers rayons tombèrent sur de longues aigrettes de neige tourbillonnant sur la crête du Cervin ; c’était d’une beauté féerique, mais cela nous annonçait aussi plus de vent que nous n’en eussions désiré. Nous avions maintenant atteint la base du glacier abrupt qui se cramponne à la face Est du Cervin, et, comme nos aventures de revenants nous avaient indû-