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LE CERVIN

aller jusqu’à ce qu’il fût «ganz fest», bien établi. Nous lui filàmes trente mètres de corde, et, comme il n’y avait pas apparence immédiate qu’il fût «ganz fest», et comme aussi dans l’éventualité d’une glissade il était à peu près certain qu’il n’y aurait aucune différence qu’il soit là ou plus loin, je suivis ses traces avec précaution ; Gentinetta fermait la marche, libre du dangereux esclavage de la corde. Après avoir traversé en tout environ cinquante mètres nous pouvons enfin quitter la pente et atteindre bientôt un rocher, qui bien que fort incliné nous offre une foule d’excellentes saillies. Burgener fait de furieuses enjambées ; tout il coup un morceau de roc rase son habit et un hurlement d’angoisse nous avertit que sa pipe, fidèle compagnon dans tant de dures escalades, et souvenir de son meilleur touriste, venait d’être jetée hors de sa poche et précipitée sur le Glacier du Cervin.

Bientôt après nous regagnons l’arête, et, sans aucune halte, nous la suivons jusqu’au point où non seulement elle devient perpendiculaire mais où réellement elle surplombe[1] Nous avions maintenant à suivre en travers sur notre droite la grande face Ouest du pic. Burgener scruta anxieusement l’énorme muraille et, saisissant ma main, il s’écria : « La pipe est vengée, nous tenons le sommet, » ce qui m’amena à penser que nous finirions bien par l’atteindre un moment ou l’autre. Les guides commencèrent la construction d’un cairn, pendant que j’utilisais cette halte à la recherche assidue d’un diminutif de poulet que Burgener m’avait affirmé


    variés plus ou moins transparents. Pour ceux qui le connaissent, il n’est pas besoin d’ajouter que jamais il n’a fait courir à d’autres des risques dont il était exempt lui-même.

  1. Soit du Mettelhorn, soit des pentes qui sont auprès et à l’Ouest du Breuil on se rendra compte qu’il n’y a là aucune exagération. De ces deux points opposés on aperçoit distinctement cette partie de l’arête.