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LE CERVIN

arrivèrent et nous vîmes que notre nouvelle recrue était Johann Petrus. Ce que voyant, nous fûmes tous deux très satisfaits, car jamais meilleur grimpeur et guide plus résolu ne s’était présenté au désir d’un touriste entreprenant.

Les provisions de Gentinetta avaient surtout la forme liquide. Aussi notre dîner consista-t-il principalement en restes de nos provisions premières et en une mixture hétéroclyte de vin rouge et de marsala, de bière et de cognac. Pendant la durée de ce festin, Burgener et Gentinetta rivalisèrent à qui mieux mieux en exaltant les prophéties météorologiques de leur Monsieur. Petrus fut appelé à témoigner sur l’apparence du temps, complètement compromis le matin ; enfin, pour ajouter à mon triomphe, on rappela les dires d’Imseng, à Zermatt, qui avait parlé du temps comme étant sans espoir d’amélioration. «Du reste, leur Monsieur n’avait jamais hésité dans sa confiance » — ils n’avaient pas heureusement deviné mes sentiments de la journée — « et il avait courageusement témoigné contre un adversaire résolu ». Une expérience subséquente est encore venue à la rescousse, et Burgener me considère comme d’un mérite transcendant dans cette branche de l’art de grimper. Lorsque, comme il est bien naturel, des faits contraires ne s’accordent pas avec mes prévisions, il est tout prêt, comme le célèbre savant français, à s’écrier : « Tant pis pour les faits. » La nuit amena un froid intense. Les nuages avaient empêché les rayons du soleil de réchauffer le plateau, et les petites cuvettes d’eau comme les plaques de neige étaient encore, lorsque nous les avions atteintes, fortement prises par le froid des nuits précédentes. Sous nous, un rocher glacé, au dessus, un vent du Nord perçant, nous gelaient jusqu’aux moelles et nous étions transis