Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LE CERVIN

Tournanche. Le rugissement du vent autour des murailles du Cervin devint distinctement perceptible, disant la furieuse tourmente qui faisait rage le long de ses puissantes arêtes. La confiance de Burgener commença à faiblir ; il revint à la charge pour me proposer les délices capouanesques de l’Hôtel du Mont-Rose. J’eus presque la crainte de douter de moi ; mais le dé en était jeté, je me fiai à mon étoile ; je gardai une contenance assurée et déclarai que, arriverait que pourrait, nous aurions une agréable surprise du temps. Burgener en fut impressionné. Le constant effacement des arêtes lointaines, la marche des nuages toujours accumulés autour du Cervin, et plus qu’un soupçon d’humidité dans les furieuses rafales de vent qui nous frappaient à de courts intervalles, étaient des signes assez distincts et assez infaillibles, pensait-il, pour que même un Monsieur les reconnaisse. Pourtant ma persistance lui suggéra que j’étais peut-être un Mahatma (ou son équivalent de la Vallée de Saas) ; il se réfugia dans un coin, charmé par les caressantes bouffées de Dame Nicotine, ma pipe, et il me raconta des histoires de sorciers au sujet des esprits et des gnomes qui hantent encore le vaste cirque des murailles bastionnant le Val Anzasca. Comme le jour s’écoulait, le fardeau obligé de ma contenance suggestive me devint trop lourd, aussi me retirai-je dans un coin tranquille, songeant, drapé dans de nombreuses couvertures, à noyer mon anxiété dans le sommeil. Tard dans l’après-midi Burgener me réveille d’une vigoureuse poussée en me disant de regarder le temps. Ma première impression est qu’il vient me confondre comme imposteur et tourner mes prophéties en méprisante dérision. Son air de jubilation et l’apparence légère des nuages attardés mettent pourtant à néant mes pensées pénibles et je comprends que la vigoureuse