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LE CERVIN

balayées par les pierres. Depuis ce moment, j’ai été l’un des plus dévots adorateurs du grand pic, et, lorsque le puissant roc monte sur l’horizon lointain, je salue son apparition avec une joie pieuse. La vulgarisation de Zermatt elle-même, les excursionnistes et leurs vêtements fripés ne peuvent me chasser tout à fait de ses dernières pentes, et j’aime encore à épier sa silhouette entre les sapins du Riffelberg ou à regarder son énorme masse dominant les plateaux fleuris de la Staffel Alp. Dans ces jours déjà lointains (1871), il était pourtant encore enveloppé d’un halo à demi dissipé d’inaccessibilité[1], et, lorsque je jetais les yeux sur lui soit à travers le réseau des sapins, soit des pentes de l’Alpe fraîche, je n’osais pas espérer qu’un jour je pourrais être compté dans la phalange glorieuse et peu nombreuse des grimpeurs ayant escaladé ses murailles glacées. Trois ans plus tard, l’ascension en était devenue à la mode ; le déluge était commencé et avec ses premières vagues j’étais jeté sur le sommet tant désiré. Je sais bien que, dès lors, mon intérêt pour le pic aurait dû cesser, que le vrai grimpeur ne refait jamais une ascension, que son but est d’escalader le sommet, que, ce but atteint, son travail est ailleurs, et qu’il peut alors se reposer dans l’odieuse paresse. La vérité sur ce sujet me paraît cristallisée dans cette lumineuse remarque qui me fut faite l’an dernier [1894] par un touriste immaculé, vrai pilier de l’Hôtel du Mont-Rose[2] : « J’avais à aller à Grindelwald pour y faire l’ascension de

  1. La première ascension du Cervin datait, il est vrai, du 14 juillet 1865 ; mais la terrible catastrophe qui la termina et qui coûta la vie à quatre personnes entretint pendant longtemps le renom de difficulté et de danger de cette montagne. — M. P.
  2. L’Hôtel du Mont-Rose fut le premier hôtel de Zermatt — auparavant on couchait chez le curé, — et c’était, alors comme aujourd’hui, le rendez-vous des plus célèbres grimpeurs. L’Hôtel du Mont-Rose, et ses tenanciers le père et la mère Seiler, auront une page dans l’histoire alpine. — M. P.