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PLAISIRS ET PÉNALITÉS

rocher, et le troisième s’inquiète de la direction. La division du travail est sans doute une excellente chose, et mérite peut-être tout ce que Adam Smith a dit en sa faveur ; mais elle ne développe pas le montagnard idéal ; dans ce compartiment des devoirs humains, William Morris nous donne de meilleurs avis. Bien entendu, cela revient à dire que le chasseur de chamois, c’est-à-dire le montagnard solitaire, est la meilleure matière première pour faire un guide. Le fait qu’un homme a eu l’habitude de grimper seul comporte que la loi de survie du plus apte aurait eu entière et ample occasion de l’éliminer s’il avait été un montagnard sans précaution et sans capacité.

Au point de vue individuel, cette élimination pourra peut-être ne pas paraître tout à fait désirable ! mais le vrai grimpeur, jugeant par ses habitudes, emporté par des sentiments d’altruisme et pensant simplement au salut de ses futurs compagnons, préférera que la loi de survie du plus apte ait libre carrière et le passe lui-même à son feu d’épuration. Les critiques supposeront peut-être bien à ce devoir d’autres motifs moins aimables, et je pourrais peut-être bien aussi en trouver moi-même, mais pourquoi enlever à l’ennemi qui se cache la joie d’une attaque virulente ? En tous cas, quelques motifs qu’il ait eus, l’homme ainsi éprouvé est tout à fait indépendant de la corde, et il se meut aussi librement, peut-être plus librement sans elle qu’avec elle. Il fait croire qu’à chaque marche il ajoute à la poule de sécurité du jeu et qu’il la personnifie même. Quant à ceux qui, imbus des textes d’encyclopédies, craignent de mouvoir une main et un pied lorsqu’ils ne sont pas entravés par quelques brides et quelques nœuds, ils suggèrent insensiblement qu’ils empruntent au lieu de donner à cette même poule de sécurité.