Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
DE L’ALPINISME

soit absolument certain que l’ascension puisse être menée jusqu’au bout, il est dangereux au plus haut point d’entrer dans de pareils couloirs, et ceux qui le font doivent reconnaître nettement qu’ils courent des risques très sérieux. Si pourtant la caravane a couru ce risque et qu’elle soit tenue en échec dans le haut de la montagne, il lui sera préférable de passer la nuit sur les rochers et d’attendre que le froid ait scellé les pierres instables, la neige et la glace. Cet expédient a été adopté plus d’une fois par mon vieux guide, Alexandre Burgener. Dans la fameuse descente du Col du Lion, il a incontestablement sauvé ainsi la vie du Dr Güssfeldt et la sienne[1]. Je sais bien que par ce procédé on court un léger risque de la part d’un changement dans le temps, que l’on a le gros désagrément du froid, de la faim même possible, mais ces désagréments sont de légers riens pour des hommes forts et dûment vêtus ; quant au risque, il faut bien dire que des endroits comme le grand couloir de la face Ouest du Cervin sont beaucoup plus sûrs pendant une tourmente de neige que lorsque le soleil commence à chauffer les grandes pentes qui le dominent. En effet, quand la neige tombe à une basse température, elle tarit tout de suite les filets d’eau, arrête le ramollissement des gros glaçons suspendus, et empêche généralement la chute de tous projectiles, rendant alors pratiquement sûrs des pentes et des couloirs, que l’on n’ose pas escalader par le beau temps. Mais d’un autre côté une rafale de neige estivale, suivie d’un vent au dessus du point de congélation (ce qui est un phénomène assez fréquent), convertira des pentes rocheuses habituellement sans danger en cascades d’eau, rendues terribles par les pierres et les rochers délogés. On voit dès lors combien il faut savoir juger très

  1. In den Hochalpen, p. 269-270.