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PLAISIRS ET PÉNALITÉS

accroché sur quelque arête pendant sur le vide, que votre corps n’est pas jeté dans l’espace et que votre âme ne va pas rejoindre les régions éthérées.

Je sais bien qu’il y a un âge qui se soucie peu des vertus viriles, et qui regarde de travers toute forme de sport pouvant être, avec une imagination très féconde, considéré comme dangereux ; mais, puisque nous ne pouvons pas tous, pour de très bonnes raisons, prendre notre plaisir à nous « vautrer dans les parages boueux du lucre », il nous faut certainement insister en faveur d’un sport qui enseigne, comme aucun autre ne peut le faire, l’endurance et la confiance mutuelle, et qui force parfois les hommes à regarder franchement et carrément en face la mort sous son aspect le plus farouche. Bien que l’alpinisme ne soit peut-être pas plus dangereux que les autres sports, il apporte pourtant à l’esprit une sensation du danger plus immédiate, sensation, en vérité, hors de toute proportion avec le danger réel. Il est par exemple tout à fait impossible de regarder d’en haut du Petit Dru ses terribles précipices sans ressentir dans chaque filament nerveux qu’une chute entraînerait infailliblement la désagrégation finale de tout ce qu’il y a d’humain en nous, et cette éventualité se présente fréquemment à l’esprit ; ne fait-on pas dans toute l’ascension de constants et énergiques efforts précisément pour l’éviter ? En dépit des enseignements religieux, l’amour du pari est encore inhérent à notre race, et personne, surtout dans ces jours de matérialisme, où le diable des anciens temps ne voudrait plus échanger l’âme du joueur contre du bon or sonnant et trébuchant, personne ne pourra trouver un enjeu plus élevé que la conservation de sa peau ; et c’est là l’enjeu que le montagnard met habituellement et constamment au pari. Il est vrai que les chances sont toutes